Je suis allé, lundi, à l'hôpital où mon père a séjourné l'automne dernier. Une affaire de paperasse.
J'en ai profité pour aller saluer une vieille dame que je connais depuis un bon bout de temps. Elle ne m'a pas reconnu. Malgré tout, ma visite a semblé lui faire plaisir.
En sortant, je me suis demandé si je retournerai la voir. Égoïstement, je savourais le plaisir de faire plaisir. Je me sentais fier de la lumière que je mettais dans ses yeux. Mais maintenant qu'elle ne se souvient plus de moi, ce plaisir se trouve dilué par l'anonymat. Ce n'est plus moi, c'est n'importe qui qui vient la voir.
Mais la lumière de ses yeux reste la même, et j'espère la revoir avant qu'elle ne meure.
Ce qui m'a rappelé un vieux poème, dont il existe plusieurs versions : celle-ci est, à ma connaissance, la plus ancienne.
La vieille
elle tombait, comme une pluie de silences
sur une fenêtre mouillée
qui s'entrouve parfois sur le monde
elle tombait, comme une averse imprévue
sur l'espoir enfoui dans nos rêves
elle tombait, comme on tomberait par hasard
sur des souvenirs qui n'ont plus d'autres témoins
elle tombait, comme on tombait jadis en amour
sans craindre le poids des promesses pour toujours
elle tombait, comme tombent dans l'oubli
les comptines et les rondes des jardins de l'enfance
elle tombait, comme tombera un jour
l'heure de l'ultime échéance
elle tombait sans un bruit pour meubler son ennui
elle tombait sans un cri pour déchirer sa nuit
elle tombait sans un geste, sans la moindre caresse
elle tombait entre nos vies, sans toucher nos mémoires
elle tombait si doucement, qu'on la croyait immobile
quand elle est morte, la vieille
le poète anonyme